Capitalisation d'expérience « À l’épicerie sociale, mon alimentation et ma santé j’y fais attention »

Epinay sous Sénart

« À l’épicerie sociale, mon alimentation et ma santé j’y fais attention »

Ce récit d'expérience est réalisé sur la base d’une interview conduite en mai 2017 avec Véronique Djire, Coordinatrice de l’épicerie sociale et Tourya Bami, directrice du CCAS et des Solidarités de la Ville d’Epinay-sous-Sénart. (ccas@ville-epinay-senart.fr)

Principes de la démarche de capitalisation

Ce récit a été élaboré selon les principes de la démarche de « Capitalisation des expériences en promotion de la santé » (CAPS).

L’épicerie sociale d’Epinay-sous-Sénart (91) a été créée après un diagnostic territorial, sur cette commune où la quasi-totalité de la population réside en QPV. L’objectif est de créer un lieu en complémentarité de l’aide alimentaire d’urgence, pour répondre aux autres besoins d’aide alimentaire et favoriser des comportements favorables à la santé. Les bénéficiaires sont les publics en situation de précarité d’Epinay et d’une ville limitrophe. Petit à petit, les activités se sont élargies à la promotion de la santé plus globalement : éducation nutritionnelle, forum santé, consultation de prévention infirmière, atelier bien-être, atelier jardinage, lien social. Les bénéficiaires et bénévoles sont associés à la construction et à l’animation des ateliers. Et des partenariats sont noués avec d’autres acteurs locaux, notamment s’agissant d’orientations des publics en difficultés. 

Intervention« A l’épicerie sociale, mon alimentation et ma santé j’y fais attention »
PorteurEpicerie sociale du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) dans une ZUS de la Ville d’Epinay-sous-Sénart 
ThématiquesAccès aux droits et aux soins, Activités physiques et sportives, Alimentation, Inégalités sociales ou territoriales de santé, Lien social / Isolement
Population cibleBénéficiaires de l’épicerie sociale (40 à 50 familles par semaine) ou bénéficiaires des activités qui s’y déroulent
CalendrierDepuis 2010
Milieu d'interventionCentre Communal d’Action Sociale (CCAS), Quartier prioritaire de la ville, Structure municipale 
Territoire concernéeVilles d’Epinay-sous-Sénart et de Boussy Saint-Antoine, dont quartiers en politique de la ville (QPV)
Principaux partenairesCommune d’Epinay-sous-Sénart (dont élus, CCAS, ateliers…), ARS IdF, Maison Départementale des Solidarités (MDS), CAF, Conseil départemental de l’Essonne, CRAMIF, diététicienne, sophrologue, associations de proximité, bénévoles de l’épicerie sociale
Équipe sur le programmeDirectrice du CCAS et des Solidarités, coordinatrice de l’épicerie sociale, l’agent technique et l’agent d’accueil de l’épicerie sociale, infirmière, bénévoles
Objectifs
  • L’aide alimentaire (non urgente) de personnes en difficulté financière
  • La rupture avec l’isolement social
  • L’incitation des familles précaires à se préoccuper de leur santé, entre autres avec l’accès aux soins, et la promotion d’une alimentation saine et équilibrée et d’une activité physique régulière.

Sigles utiles :

  • ARS : Agence Régionale de Santé
  • CAF : Caisse d’Allocations Familiales
  • CCAS : Centre Communal d’Action Sociale
  • CRAMIF : Caisse Régionale d'Assurance Maladie 
  • MDS : Maisons Départementales des Solidarités
  • ZUS : Zone Urbaine Sensible
     

Contexte et enjeux

La quasi-totalité de la population d’Epinay-sous-Sénart réside dans les quartiers prioritaires définis par la nouvelle politique de la ville, qui composent la ZUS Les Cinéastes et la Plaine.

L’indice de Développement Humain IDH-2 est bas sur la Ville d’Epinay-sous-Sénart (0,46) comparé au département de l’Essonne (0,59) et à la région Ile-de-France (0,57).

En septembre 2010, l’épicerie sociale a été créée par le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville d’Epinay-sous-Sénart après un diagnostic de besoins sur le territoire. Localement, un tissu associatif travaillait essentiellement sur l’aide alimentaire d’urgence. En complément, les promoteurs ont souhaité inscrire le projet de l’épicerie sociale dans la durée afin de répondre aux autres besoins d’aide alimentaire et de favoriser des comportements favorables à la santé. Un travail est mis en place avec plusieurs partenaires, au moment de l’ouverture de l’épicerie, afin de repérer les besoins et attentes des usagers. Après l’emploi, la deuxième préoccupation concerne la santé : l’accès aux droits, aux médecins, les soucis pour bien manger, la santé des enfants… L’épicerie sociale s’engage dans un projet évolutif pour « favoriser la santé des publics en difficulté ou en situation de précarité ».


En 2013, un forum santé est organisé avec les partenaires de l’épicerie sociale qui conduit à la création d’une consultation de prévention infirmière à l’épicerie une fois par semaine ; consultation ouverte aux bénéficiaires de l’épicerie et à tous les allocataires du RSA. La consultation, financée par le Conseil départemental, est rapidement remplie et appréciée.

En 2014, une nouvelle coordinatrice arrive. Elle souhaite mieux percevoir les services à rendre aux personnes. Elle met en place un entretien individualisé d’accueil pour comprendre les difficultés, échanger, instaurer une relation de confiance. De nouvelles problématiques émergent : questions liées aux addictions, à la violence conjugale, à l’isolement… Cet entretien se transformera ensuite en entretien d’accueil collectif en laissant ouverte la possibilité d’une rencontre personnalisée.

Progressivement, les modalités de travail sont repensées. L’opportunité de répondre à un appel à projets « initiatives et développement social » en Essonne incite à formaliser une nouvelle étape du projet. Les bénéficiaires sont associés. Ils mettent l’accent sur l’importance de développer des relations avec d’autres. Travailler sur le lien social apparaît un préalable avant de parler de santé. Il est décidé de revisiter toutes les actions proposées. L’atelier jardinage de produits biologiques est créé. Les ateliers sont alors proposés par les usagers comme un lieu pour « partager quelque chose ensemble ». La construction et l’animation de chaque activité se réalisent en associant systématiquement un bénévole (ancien bénéficiaire) et un professionnel. 

2016, l’épicerie sociale ouvre ses portes à certains seniors de la ville adressés par le service Seniors (loisirs). Certaines personnes sont dénutries ou s’alimentent très mal, ne cuisinent quasiment plus ou de trop grandes quantités qui ne les incitent pas à manger… L’épicerie sociale, qu’ils puissent ou non faire leurs courses là, leur a ouvert un atelier spécifique qui fonctionne depuis plus d’un an. Cette année a également été l’occasion de valoriser cette expérience, le CCAS ayant été retenu par l’UNCCAS (Union Nationale des CCAS) dans les premiers lauréats au titre de l’innovation sociale. En effet, il est essentiel de penser le soutien et l’aide alimentaire sous un autre angle, c’est cette vision différente et innovante qui a été saluée.

Pour 2017, les actions précises continuent à évoluer en fonction des demandes des publics et des possibilités partenariales (cf. infra).

La signature d’un premier Contrat Local de Santé pour Epinay-sous-Sénart est en phase d’aboutir.

Objectifs du programme « A l’épicerie sociale, mon alimentation et ma santé j’y fais attention »  

Le projet porté par l’épicerie sociale a pour finalités :

  • L’aide alimentaire (non urgente) de personnes en difficulté financière ;
  • La rupture avec l’isolement social ;
  • L’incitation des familles précaires à se préoccuper de leur santé, entre autres avec l’accès aux soins, et la promotion d’une alimentation saine et équilibrée et d’une activité physique régulière.

Modalités d’action (selon les 5 domaines de la promotion de la santé - Charte d’Ottawa) :

Le schéma ci-dessous classe les actions développées dans le cadre du programme selon deux niveaux de lecture : 

  • selon les 5 axes de la promotion de la santé définis par la charte d’Ottawa
  • selon les publics concernés par chacune des actions : bénéficiaires finaux (en vert) ou professionnels, élus, bénévoles (en jaune-orange).  

Quelques points notables du programme…

Globalement, les promoteurs saisissent l’opportunité d’être en lien avec une population qui nécessite une aide alimentaire pour co-construire un projet de promotion de la santé : accès aux soins, nutrition, lien social, bien-être… Quelques points notables peuvent être soulignés :

  • L’association des bénéficiaires à l’élaboration des ateliers et des offres de service tous les trimestres, comme bénévoles s’ils le souhaitent, aux activités de jardinage qui permet d’avoir des légumes et fruits bio à l’épicerie sociale, aux évaluations trimestrielles… 

    Le principe est d’écouter, de co-construire, d’ajuster sans cesse les propositions aux attentes et besoins des personnes qui peuvent changer tous les 3 mois (l’accès à l’aide alimentaire étant acceptée pour 3 mois même si des renouvellements sont accordés).

  • Un discours positif qui cherche à faciliter les échanges et à inscrire les personnes dans une dynamique active : « Certes vous avez des problèmes financiers, certes vous avez de l’aide alimentaire. On va travailler ensemble, mamans, bénévoles, professionnels, pour que vous puissiez acheter, cuisiner des choses qui vous font plaisir à vous et votre famille, si vous le souhaitez, vous pourrez partager des moments avec d’autres, nous allons voir ensemble ce qui vous intéresserait… »
  • Une co-construction et une co-animation des ateliers par un bénévole (ancien bénéficiaire ou bénéficiaire actuel) et un professionnel. Ce travail collaboratif facilite l’expression des usagers, et soutient les professionnels dans leur compréhension des aspects culturels et dans l’adaptation de leur discours. En retour les professionnels offrent un cadre institutionnel défini et certaines méthodes d’animation.
  • Ces trois principes d’action inscrivent les personnes dans un lieu « épicerie sociale » pour faciliter l’inscription dans la cité. Les familles réapprennent à s’exprimer, à dire ce qu’elles souhaitent, développent des relations entre elles et avec certains partenaires ; autant d’éléments qu’elles peuvent mettre à profit ailleurs.
  • L’épicerie sociale se veut un lieu ouvert qui cherche à éviter les stigmatisations :
    • Certains publics ne bénéficient pas de l’aide alimentaire, ils viennent pour la consultation de prévention infirmière (allocataires de RSA) ou pour un atelier nutrition (seniors) ;
    • Les bénéficiaires ont souhaité qu’il n’y ait pas de grande pancarte indiquant « épicerie sociale » ;
    • Professionnels et bénévoles orientent autant que faire se peut vers des services du CCAS ou des associations locales non ciblées pour les populations en situation de précarité : associations de loisirs, structures et services sportifs… 
    • L’épicerie développe le maximum d’actions avec des partenaires : intervention de l’ADMC (Association pour le Dépistage des Maladies Cancéreuses de l’Essonne) dans le cadre de la campagne de dépistage organisé ; journées d’information : obésité, sida, diabète et semaine du goût…
  • La consultation infirmière de prévention depuis septembre 2015, financée par le Conseil départemental et ouverte à toutes les associations caritatives de la ville. Environ une famille sur deux y a recours. Elle permet en une heure et demie un entretien concernant les problèmes de santé perçus, l’accès aux soins, la prévention pour orienter vers le ou les professionnel(s) adéquat(s).
  • Le fait d’avoir une certaine efficacité et de contribuer à la réduction des inégalités sociales de santé conforte les promoteurs à poursuivre leur projet selon les principes d’actions énoncés plus haut. Ils mettent en avant que : 
    • à travers l’accès à l’épicerie sociale les usagers se nourrissent, une nourriture suffisante et de bonne qualité. De plus, au cours du temps, les ventes de fruits et légumes augmentent ainsi que les produits non cuisinés ;
    • les consultations infirmières sont une opportunité pour permettre la prise en charge des problèmes de santé des bénéficiaires ou de parler prévention, dépistage...
    • un travail de promotion du bien-être et de l’estime de soi donne des résultats reconnus par les personnes et par les référents qui les suivent : s’occuper de soi, retrouver confiance en autrui, retrouver la possibilité de parler, d’échanger, de garder des relations avec d’autres…

Comment transposer au mieux ce programme ?

Freins identifiés, et comment les éviter ou les réduire

S’adapter sans cesse aux attentes et besoins de chacun représente un défi tout autant qu’un principe d’action et un levier pour penser et agir. 
Le projet est réajusté sans cesse notamment du fait qu’une partie des publics change tous les 3 mois. Ainsi, une action qui répond à un besoin une fois, n’y répond plus ni en termes d’objet ni en termes de manière de faire. Il faut donc toujours écouter, élaborer avec d’autres, créer ou ajuster. Cette dynamique est tout à la fois valorisante mais elle peut être épuisante.
L’encadrement a donc un rôle important à jouer pour faciliter les évolutions pertinentes sans mettre les équipes salariées et bénévoles en difficulté.
L’équipe peut se sentir en difficulté pour interagir avec certains publics et trouver une manière de les accompagner (ex : certaines personnes âgées dénutries qui préfèrent faire du stock, ou donner les aliments achetés à l’épicerie sociale à leurs enfants et petits-enfants ; de ce fait ils ne bénéficient pas pour eux de l’aide).L’équipe tâtonne avec l’un, l’autre ; des idées émergent…
Afin de valoriser les savoirs faire de chacun, l’équipe souhaiterait parfois pouvoir s’appuyer sur les cuisines traditionnelles des uns et des autres. Cela est difficile, car les personnes se sentent dans l’idée de faire quelque chose de bien, qui demande du temps, qui coûte cher.Peut-être cela est à faire une fois de temps en temps, lors de la semaine du goût par exemple.
Les relais, les liens avec les associations existantes (communautaires ou non) ne sont pas toujours aisés à proposer car ils ne répondent pas aux besoins des personnes.Un équipement socio-culturel doit ouvrir ses portes ; il permettra de développer l’offre locale.
Le travail avec les référents sociaux et avec le réseau de partenaires est un travail sans fin : faire connaître que l’épicerie sociale n’est pas qu’un lieu d’aide alimentaire ; expliquer les principes des actions développées et les résultats, etc. Le CLS favorisera l’interconnaissance et la coopération.

Leviers de réussite 

  • « Ne pas reproduire le projet tel qu’il est ! » « Il faut le réinventer avec les usagers ».
  • Associer les bénéficiaires, pour réinterroger régulièrement le projet et les actions, est considéré comme le principal levier de réussite.
  • Les pairs-bénévoles représentent un atout jugé essentiel du fait de :
    • Leur fonction de pair-aidant
    • Leurs apports auprès des professionnels pour mieux s’ajuster aux différentes personnes de cultures variées ; 
    • L’effectivité de leur travail permettant de développer davantage d’actions
    • Le fait que cette fonction est pour certains essentielle en termes d’estime de soi et/ou de première marche, plus rarement, vers le retour à l’emploi. 
  • Le fait que l’épicerie sociale soit portée par le CCAS facilite
    • Les liens avec tous les services du CCAS et de ses partenaires ;
    • Le portage politique du projet ;
    • La trésorerie du dispositif ;
  • La possibilité de répondre à des appels à projets du fait des expertises qui peuvent y être mobilisées.
    La mise en place d’un mode de management valorisant et ouvert à la créativité de chaque membre de l’équipe de professionnels et bénévoles est importante pour que chacun reste impliqué dans un projet exigeant.
  • Les échanges avec d’autres épiceries sociales sont des moments de ressourcement utiles à l’action.

Retours d'expériences en matière de nutrition