Mise en perspective et conclusion de la journée régionale 2024

Frédérique Trévidy, Directrice du pôle d’ingénierie sociale à l’ALFI (groupe Arcade-Vyv), chercheuse associée au LEPS UR 3412, USPN, Campus Bobigny

Bonsoir. Merci beaucoup à Promotion Santé Île-de-France de m’avoir invitée, et merci à vous pour ces échanges très riches qui ont lieu pendant les ateliers.

Je me présente : je suis Frédérique Trévidy, chercheuse associée au Laboratoire Educations et Promotion de la Santé à l’Université Sorbonne Paris Nord. Je travaille dans une association, ALFI, Groupe Arcade Vyv, dans le logement social, par ailleurs. Et pour le coup, ça m’a beaucoup parlé cet après-midi, parce qu’on croise justement des savoirs scientifiques, mais aussi des savoirs expérientiels. Et je reviens sur ce qui a été dit : les savoirs expérientiels sont très importants, parce que quand on vit les choses, en tant que personne concernée, on n’a pas le même regard que quand on les expérimente en tant que professionnel ou quand on les évalue en tant que scientifique, par exemple.

Donc, en fait, ce croisement des savoirs a été bien abordé au cours de cette journée. Et du coup, ça m’a fait me poser une question sur la terminologie. On parle de données probantes et ce matin, Chloé [Hamant] me disait : c’est une notion issue de la médecine basée sur les preuves. Et je vous trouve très humble de ne pas aller plus loin parce qu’aujourd’hui, on se rend compte que les données probantes, telles que vous les définissez dans la note pédagogique notamment, vont bien au-delà des données probantes scientifiques basées sur les preuves. En fait, elles intègrent d’autres savoirs, les savoirs expérientiels, les savoirs qui nous permettent de pouvoir mettre en place des interventions utiles en contexte.

Donc, on est dans une autre perspective, même épistémologique. On est dans une perspective qui nous permet de comprendre la complexité. Et ça, quand on parle de données probantes, je trouve que c’est trop réducteur, finalement. Ça vaudrait presque le coup d’aller chercher un autre terme qui soit plus représentatif de ce que vous faites tous, ici.

J’ai entendu des termes, aujourd’hui, comme des savoirs partageables, par exemple. Des savoirs partageables, c’est David Müller et Anne Laurent qui ont parlé de ça quand ils ont parlé de la capitalisation. Et les savoirs partageables, ce ne sont pas des savoirs uniquement partagés. Les savoirs partageables sont également soumis à des valeurs. Donc, on les partage parce que ça répond aux valeurs que l’on retrouve en promotion de la santé.

C’est Timothée [Delescluse] dans un autre atelier, qui disait : « Finalement, il y a eu des institutions qui voulaient qu’on fasse des fiches de capitalisation sur certaines interventions, mais où, finalement, les leviers d’actions étaient basés sur la peur des populations ». Ça, ce n’était pas partageable, donc, ça ne rentre pas dans les valeurs.
Et, en fait, les savoirs partageables, il faut aussi les évaluer au regard de l’utilité : pour qui et pourquoi on les partage. Donc, les savoirs partageables, par exemple, sont destinés aux acteurs, aux populations, aux chercheurs également, pour pouvoir mettre en place des interventions utiles, efficaces et qui soient mises en œuvre dans des contextes particuliers.

Et cette utilité, elle est également à questionner. Par exemple, j’ai entendu dans certains ateliers, que certaines organisations voyaient dans les fiches de valorisation, une utilité pour le projet. Et là, pour le coup, il faut réajuster l’angle de la valorisation parce que l’utilité n’est pas pour valoriser un projet mais bien pour valoriser des leviers d’actions utiles à l’expérience prochaine. C'est-à-dire : comment les choses qui ont fonctionné et qui n’ont pas fonctionné, peuvent me servir pour pouvoir transférer une action dans mon contexte et savoir ce que je dois faire et ce que je ne dois pas faire pour que ça fonctionne ?

Donc, l’utilité, c’est aussi une utilité fonctionnelle. Et on a des recherches qui nous permettent d’évaluer l’efficacité, mais on a d’autres savoirs qui nous permettent de juger si l’action, en effet, est acceptable par le public, et si l’action fonctionne.

Et quand on change de contexte, on doit réinterroger, on doit refaire une collaboration avec les acteurs en place, pour pouvoir réinterroger les pratiques, réinterroger les vécus pour voir si cette action peut être transférée dans ce nouveau contexte.

Donc, tenir compte des terminologies, ça compte aussi. Et pourquoi ça compte ? Parce que si je reviens à ce que disait Olivia [Gross] ce matin : si on parle d’injustice épistémique, on est sur des référentiels. Et quand on est sur un référentiel basé sur la médecine basée sur les preuves, on est sur un référentiel, qui finalement, ne laisse peut-être pas assez de place aux savoirs des acteurs et aux savoirs des populations. Ça, c’est des choses qu’on peut réinterroger.

Moi, j’avais une interrogation, c’est : comment on peut penser l’émancipation, justement, de ce référentiel qui est, finalement, un référentiel très positiviste, c'est-à-dire : qui ne tient pas forcément compte des milieux de vie, des contextes.

Ensuite, une deuxième chose à partager, c’est ce qui est beaucoup ressorti, c’est que c’est un savoir qui est intégré. C'est-à-dire, intégré, à la fois, par des transmissions, des transferts de connaissances, donc, la capitalisation.

J’ai entendu une recherche action qui avait eu lieu dans l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France, pour pouvoir transférer des connaissances. Vous parliez de courtage de connaissances et là encore, ce terme de courtage de connaissances n’est pas encore stabilisé, parce que, justement, je crois que c’est Tony Zitti, chercheur, qui parlait de l’origine de ce terme qui vient de l’économie et qui a été employé dans la littérature scientifique anglo-saxonne, qui a ensuite été traduit en français, mais qui fait polémique dans les milieux de la recherche, parce que finalement : est-ce qu’on parle de courtage de connaissances ou est-ce qu’il faut trouver un autre terme ? En tout cas, l’idée, c’est vraiment de pouvoir faire le lien entre la pratique et la recherche, et d’un côté comme de l’autre, comment les connaissances de la recherche peuvent imbiber la pratique, et réciproquement ? Et du coup, c’est cette porosité qui se traduit, dans ce que j’ai entendu aujourd’hui, par des collaborations qui peuvent se faire au sein des recherches interventionnelles entre acteurs, chercheurs et populations. Mais des collaborations peuvent, aussi continuer. Par exemple, le dernier atelier auquel j’ai assisté, c’était sur la réduction des inégalités sociales de santé, il y avait cette idée de pouvoir associer les populations tout au long des actions et de réinterroger les populations sur un temps assez long.

Pour conclure, cette porosité à créer, elle passe aussi par une culture commune. Et cette culture commune là, je retombe sur la terminologie, c’est de trouver, en premier, un langage commun, et un langage accessible à tous qui donne une place à tous les savoirs. Et donc, cette culture commune, elle passe par un changement de mentalité, un changement d’approche par les institutions. C'est-à-dire : comment peut-on financer, par exemple, des recherches qui durent plus longtemps, pour pouvoir permettre de travailler avec les populations concernées ?

Comment peut-on changer de paradigme temporel. J’entendais, dans la recherche action, le temps qu’on accorde aux acteurs des ARS ou autres institutions, de pouvoir aller chercher les données, se former, aller faire des recherches participatives. Un temps qui n’est pas purement sur le métier, mais qui est aussi sur cette transmission, ce transfert de connaissances et cette participation à la construction de connaissances. Merci pour tous ces échanges et la richesse de vos apports.

Pascale Echard-Bezault, Médecin, Directrice de la santé à la mairie d’Evry Courcouronnes

Bonjour à tous. Déjà, vous dire combien j’ai été heureuse de participer à cette journée avec vous tous et puis, remercier Promotion Santé Île-de-France pour la qualité de la préparation et des échanges de cette journée.

Juste, déjà, pour me présenter, je suis actuellement directrice de la santé à la mairie d’Evry-Courcouronnes, coordinatrice d’un contrat local de santé. J’encadre deux coordinatrices d’Ateliers santé ville (ASV), une coordinatrice du Conseil Local de Santé Mentale, et puis, des chargés de projet en prévention et promotion de la santé. Donc, on est vraiment sur le terrain, dans le montage et la coordination d’actions.

Á la fin de la plénière de ce matin, j’avais deux questions que je me suis retenue de poser en me disant : je vais voir si en fin de journée, j’ai les réponses à ces questions. La première question était : comment est-ce qu’on croise ces données probantes et la réalité de terrain ? Quand on monte une action sur le terrain, on part des acteurs qui sont avec nous, des acteurs qui sont motivés, des acteurs qui sont venus vers nous parce qu’ils ont détecté un sujet ou une problématique dont ils souhaitent ou souhaiteraient, ou dont les habitants souhaiteraient pouvoir échanger. Et puis, ces données probantes qui nous donnent un cadre d’intervention. Et on sait qu’il faut, effectivement, pour que ce soit efficace, avoir un groupe témoin, un groupe pas témoin, et comment je croise ça avec la façon dont on monte les actions sur le terrain ? Ça, c’était ma première question.

La deuxième question, c’était : après tout, je travaille avec des collègues qui sont toutes formées maintenant, y compris grâce à Promotion Santé Île-de-France, avec un partage ; on partage les mêmes valeurs sur la promotion de la santé, la justice sociale, l’équité, l’empowerment, l’action sur les déterminants. Après tout, est-ce que ce partage de valeurs, il n’est pas aussi important que le partage des savoirs ? J’emploie volontairement ce mot-là qui est un peu la représentation que certaines personnes peuvent avoir des données probantes.

Et c’est vrai qu’à travers la journée, j’ai eu un certain nombre de réponses. Notamment que ces données probantes, elles ne pouvaient exister que si elles étaient croisées avec les savoirs expérientiels, que ce soit au niveau local ou au niveau plus macro. C’est effectivement ce que j’ai vu à travers la capitalisation. Pourquoi ? Comment ça marche ? Ce qui a marché ? Comment ça a marché ? Pourquoi ça a marché ? Voilà un peu ce que j’ai compris d’une partie des ateliers de cette matinée : comment on intègre les savoirs expérientiels et comment on les croise avec les données probantes.

Et puis, après, cet après-midi, on a été sur les modes de diffusion, les modes d’appropriation de ces données probantes. Et peut-être que ma première question sur comment est-ce qu’on croise ces éléments de données probantes et de réalité de terrain, vient aussi d’une méconnaissance de ces données probantes, des acteurs de terrain ; et peut-être, un peu, une peur du savoir universitaire. Peur, aussi, d’une rigidité dans la mise en œuvre de ces données probantes au niveau du territoire.

Et je pense que des journées comme aujourd’hui, qui sont émaillées, je dirais, d’énormément d’exemples, permettent de désacraliser — je ne sais pas si c’est le bon terme — les données probantes et que ce croisement aux savoirs expérientiels, à l’expérience de terrain, les modes de diffusion, doivent permettre, aussi, de réduire cet effet-là.
Des journées comme celle-ci jouent un rôle évident pour inciter les acteurs locaux à participer à la production, notamment par le savoir expérientiel et aussi par le rapport avec les usagers, et d’aller vers l’utilisation des données probantes.

Quant à l’appropriation — excusez-moi pour les collègues chez qui je suis arrivée comme ça dans les ateliers un peu de façon ponctuelle— on se rend compte qu’elle peut prendre diverses formes et, à mon avis, j’ai trouvé un certain nombre d’éléments qui se rapprochent des sciences de l’éducation.

Au-delà de ces deux questions, j’en avais aussi une troisième qui était : comment est-ce qu’on prend en compte la réalité des gens ? Alors, effectivement, comment on peut « aller vers », partir des besoins, des attentes ? C’est des questions de sémantique qui ne sont pas que de la sémantique des gens. Est-ce que c’est en « allant vers » ? On a parlé ce matin d’avoir une permanence en pied d’immeuble ou, comment est-ce qu’on « va vers » autrement ? Comment est-ce qu’on développe aussi le pouvoir d’agir, aussi bien des habitants mais également des acteurs de terrain ?

Et des journées comme aujourd’hui, je pense, peuvent tout à fait nous apporter ce pouvoir d’agir des acteurs de terrain, pour participer à l’enrichissement des données probantes. Merci à tous.

Luc Ginot, Directeur de la Santé Publique, Agence Régionale de Santé Île-de-France

Il y a trois choses très pénibles dans mon métier : la première, c’est d’arriver à une journée passionnante en disant : « c’est extrêmement intéressant ce que vous allez discuter, mais je suis désolé, je m’en vais ». La deuxième, c’est d’arriver en disant : « c’est vraiment passionnant ce que vous avez discuté, je viens juste d’arriver, je vais conclure », c’est ce que je fais. Et le troisième, c’est de faire cet exercice-là après deux personnes qui ont dit des choses aussi importantes que celles qui ont été dites par les dames qui m’ont précédé. Alors, je suis vraiment dans une situation dans laquelle je vais vous supplier d’accepter mon humilité et ma réserve.

Je remercie, aussi bien les organisateurs que les grands témoins que ceux qui animent les ateliers, pour le travail qui a été fait aujourd’hui. J’ai quand même quelques échos comme quoi, c’était effectivement, tout à fait passionnant.
Je vais juste vous dire à quel point pour l’Agence, ce que vous faites, les uns et les autres et ce que vous allez essayer de faire, mieux, avec la journée que vous avez, est pour nous, important.

L’Agence Régionale de Santé, nos collègues, aussi bien dans les Directions métiers que dans les délégations territoriales, avec lesquels vous travaillez, et qui sont, d’ailleurs, dans cette salle pour un grand nombre d’entre eux, est engagée, de manière très charnelle dans la démarche que vous avez abordée aujourd’hui.

Les données probantes, ce n’est pas uniquement le truc qu’on met sur le cahier des charges pour le dossier COSA et le PDF qu’on vous envoie après, c’est vraiment ce sur quoi les collègues essaient d’avancer, de tâtonner avec vous. Et je crois que c’est un peu ce qui nous rassemble.

Il me semble que sur les questions, de prévention, de promotion de la santé, j’ai un peu le sentiment, qu’on est dans un moment un peu paradoxal. On voit bien que les questions de prévention sont au cœur des discours publics, au cœur des préoccupations. Elles sont aussi au cœur de l’assurance maladie, puisqu’on voit que la négociation conventionnelle elle-même, tourne autour des questions de prévention. Je ne sais pas si vous avez regardé, mais c’est plein de petites choses, cette affaire-là. Les collectivités locales ont toujours été présentes, mais parfois, plus sur les questions d’offre de soin. Il fallait peut-être qu’on aille, un peu chercher les élus pour leur dire qu’il n’y avait pas que l’offre de soin, qu’il y avait aussi d’autres sujets. Et aujourd’hui, ces questions de prévention sont au cœur de tous les discours. On lit, parfois que la prévention est ce qui va sauver le système de santé français. Je ne sais pas si on ne va pas un tout petit peu loin avec ça.

Il y a des programmes importants : le programme sur la vaccination du HPV, c’est quand même la première fois qu’on lance un programme général de vaccination en dehors d’une crise, depuis l’échec, un peu compliqué de l’hépatite pour ceux qui sont d’une autre génération, en tout cas, de la mienne…

Il y a des programmes importants, il y a des programmes, qu’on pourrait discuter, mais qui ont une véritable ampleur, qui se lancent. Tout cela est très enthousiasmant.

Et, en même temps, on sent bien qu’on a deux risques. Le premier, assez ancien, c’est de se dire que les acteurs de la prévention, finalement, on est un peu, pas la cerise sur le gâteau, mais quand tout le reste est fait, on parle de prévention. On parle de prévention et il faut toujours qu’on fasse nos preuves. Il faut toujours qu’on démontre que ce qu’on fait, ce n’est pas de la poésie comme disait quelqu’un.

C’est quelque chose qui est réel, qui est tangible, qui touche la vie des gens qui embarque les gens, et qu’il faut qu’on fasse cette preuve-là, ce n’est pas nouveau. Mais, peut-être, il me semble qu’un des problèmes qu’on a, c’est qu’aujourd’hui, on peut avoir le sentiment, en tout cas, c’est une des inquiétudes que moi, j’ai, que tout ce qu’on a pu construire, vous et nous ensemble, pendant des années sur la promotion de la santé ; sur le fait que la promotion de la santé est d’un abord très vaste, un abord très transversal, qui embarque les hommes politiques.

On se demande s’il n’y a pas comme une espèce d’affaiblissement de ce côté-là, s’il n’y a pas quelque chose qui pourrait être de l’ordre d’un rabougrissement de l’approche des politiques publiques autour des questions de prévention, et notamment de prévention médicalisée individuelle. Ça n’est pas ce que vous faites, ça n’est pas ce que nous faisons, c’est parfois ce qu’on pourrait lire dans un certain nombre d’interventions publiques.

Et c’est quelque chose dont il faut qu’on se méfie terriblement parce qu’il me semble qu’un certain nombre de questions telles que l’approche sur les déterminants de santé, l’approche sur la santé communautaire, la santé participative, tous ces sujets-là sont parfois moins au cœur des discours que ce qu’ils ont pu être.

Et c’est d’autant plus paradoxal après la crise du covid qui avait, me semble-t-il, permis une espèce de prise de conscience générale. La santé publique, c’est d’abord une question de logement et d’habitat, notamment en Île-de-France. La santé publique, c’est d’abord une question d’éducation, une question d’exclusion, une question de discrimination. Tous ces sujets-là, nous, on le sait. Vous en êtes convaincus, nous en sommes convaincus. Mais on voit bien que, parfois, aujourd’hui, ces sujets-là peuvent avoir tendance à, d’une certaine façon, être un peu éclipsés, si j’ose dire, un peu masqués par les enjeux tout à fait fondamentaux, de la prévention individuelle.

Et je rajoute : tout un discours qu’on entend parfois sur les voies de la prévention. C’est la prévention individualisée, c’est la prévention numérique, c’est la prévention, parfois, biologique. C’est des sujets comme ça qui peuvent constituer des chemins qui nous écartent un peu de ce que nous avons conquis pendant toutes ces années, ou qui pourraient nous en écarter si on n’y fait pas attention.

Tout ça pour dire que, finalement — je vais revenir aux données probantes là-dessus — je trouve qu’on est dans un moment, dans lequel la prévention n’a jamais été aussi présente dans la préoccupation de tout le monde et dans laquelle, en même temps, on se peut dire est-ce que cette présence-là ne se paie pas par une forme un tout petit peu amoindrie de la capacité transformatrice de ce qu’est la promotion de la santé ? Est-ce que ce qu’on gagne dans l’appropriation par les institutions, on ne le perd pas dans la qualité transformatrice — vous avez employé le terme, je crois d’émancipation — et également la capacité émancipatrice de la promotion de la santé, au sens de ce qui permet à chacun de prendre le contrôle de sa propre santé, de sa propre vie.

Face à cette interrogation-là, je crois qu’on a deux voies de passage, pour me raccrocher à la journée des données probantes, à la thématique de la journée.

Le premier, évidemment, c’est d’abord et je vous invite vraiment très vivement à le faire, et je finirai là-dessus dans une demi seconde, c’est vraiment de s’engager, d’affirmer, de démontrer que ce que nous faisons n’est pas autre chose que ce que nous faisons. C'est-à-dire que les données probantes, ce n’est pas uniquement être à la pointe de la dernière recherche numérique qui se publie dans le Lancet. Encore que lire le Lancet est souvent intéressant, il comprend la promotion de la santé.

Mais les données probantes, c’est ce que vous faites tous les jours et il faut le revendiquer. Il faut le porter, il faut en faire le centre de ce que vous exprimez dans vos expressions.

Le deuxième point, c’est que je pense que, quand même — alors, ça a été un peu dit, mezza voce, par les deux grands témoins, me semble-t-il — nous avons besoin d’un développement que la recherche, que l’Université, que le monde académique s’intéresse davantage à produire des méthodes, produire des outils, produire des objets dont nous puissions nous servir. Certes, il faut que nous contribuions, mais il faut également que le monde académique s’intéresse davantage à ce que nous faisons.

Pour revenir sur le covid et de son expérience personnelle un peu douloureuse, lorsque nous avons voulu à l’Agence Régionale de Santé, produire des outils fondés sur des preuves, sur le lien entre le logement et les conséquences du confinement, je dois dire qu’en termes de production académique, nous sommes restés un peu secs et que nous n’avons pas trouvé grand-chose dans la production académique française. Nous avons dû aller chercher des données qui étaient extrapolables, qui venaient de pays anglo-saxons dans lesquels, en particulier, le rapport à la protection lié au logement n’est pas du tout le même que nous.

Si je passe par là, c’est pour dire que je crois qu’il faut, à la fois, que nous allions, que nous soyons, que nous produisions, même, des données, mais que nous soyons également les uns et les autres extrêmement interrogeants, extrêmement percutants dans les questions que nous posons sur les besoins de connaissance, les besoins d’outils et le besoin que nous avons d’une porosité. La porosité, il faut qu’elle soit asymétrique. C'est-à-dire qu’il faut que nous absorbions ce que nous pouvons apprendre et que nous transmettions ce que nous savons faire, que nous transmettions ce que nous avons prouvé. Mais il faut aussi que nous soyons capables d’exprimer ce dont nous avons besoin comme outils.

Et je le dis très franchement, et le rapport Chauvin qui a été, à mon avis, très sous estimé dans cette partie-là, le rapport Chauvin le disait : il y a besoin de structurer, en France, en Île-de-France comme ailleurs, et je peux peut-être dire, un petit peu plus en Île-de-France, encore, que dans d’autres régions, des réseaux de connaissance qui s’appuient sur vos besoins à vous. Pour ça, il faut que vous exprimiez les outils dont on a besoin.

J’ai été très loin là-dessus parce que je pense que si on veut avancer sur ce que nous, à l’Agence, nous essayons de mettre en œuvre : des logiques de coalition, des logiques d’alliance. Je prends l’exemple, là encore, du logement, qui est un chantier que nous avons ouvert, dans lequel nous faisons travailler ensemble un certain nombre de gens qui produisent des données, qui les utilisent et qui interviennent ; qui sont des bailleurs sociaux, qui sont des associations, qui sont tout un tas d’acteurs différents.

Il faut qu’on puisse nourrir ces logiques de coalition et d’alliance, de choses qui soient des données en marche. Et de ce point de vue-là, je trouve que les pays anglo-saxons sont beaucoup plus avancés que nous. On a des structurations, on a des alliances en termes de logements aux États-Unis. Alors, les États-Unis ne paraît pas comme le pays forcément le plus socialement transformateur, n’empêche que des praticiens de promotion de la santé universitaires ont construit des structures, partagent un certain nombre de choses, et je crois qu’il faut vraiment qu’on aille vers ça.

Je crois qu’il faut, à la fois, qu’on se donne, nous, la discipline à laquelle vous avez contribué toute la journée, mais il faut aussi qu’on soit assez tranquilles pour aller dire qu’on va aller interroger un certain nombre d’autres partenaires et, notamment, je le dis, le monde académique.

L’ARS, pour ça, vous le savez, elle est aux côtés de tous les acteurs, elle est même largement représentée dans cette salle et j’en suis très heureux. Elle sera là pour vous aider à fournir des informations, des données. Le site de l’ARS vient de mettre en ligne un certain nombre de données sur le VIH qui sont fulgurantes, si on cherche à les analyser, à les comprendre et à les travailler à l’échelle locale ; je vous invite à aller les regarder.

On va continuer à être à vos côtés mais, on attend également de vous un certain nombre de choses. Evidemment que vous travaillez comme vous l’avez largement prouvé les uns et les autres, sur cette pratique-là, mais on attend également que vous fassiez savoir que vous travaillez sur cette pratique-là. N’ayons aucune culpabilité, aucune timidité, aucune hésitation à faire savoir que notre action, localement, régionalement, à tous les niveaux, elle est fondée sur un savoir, elle est fondée sur les sciences, elle est fondée sur des choses qui sont documentées ! Disons-le ! Ce n’est pas parce que nous le savons que d’autres le savent.

Et puis, je vous invite, là aussi, à peser dans l’ensemble des champs sur lesquels vous pouvez porter la légitimité de la promotion de la santé ; c’est, évidemment, dans vos territoires, auprès des collectivités locales, auprès de vos partenaires, etc. C’est dans tous les champs institutionnels. C’est aussi dans le champ où s’élaborent les stratégies de santé publique.

Une stratégie de santé publique, quel que soit le moment où elle s’élabore, est une stratégie qui doit pouvoir être infléchie par le point de vue de ceux qui la font, de la même manière que les stratégies de soin sont infléchies par les professionnels de santé, les libéraux, les hôpitaux, etc. Il faut que nous arrivions à la même démarche en ce qui nous concerne.

Et puis, emparez-vous des dispositifs. Va être, probablement, relancé dans les mois qui viennent, ou voire même les semaines qui viennent, un nouveau Conseil national de la refondation en santé, avec un focus sur les questions de santé mentale, sur lesquels on va demander à l’ensemble des acteurs de s’emparer de ce genre de dispositif. Je vous invite à ne pas être timides. Parfois, les acteurs de promotion de la santé, je le dis assez sereinement, peuvent considérer que ces affaires-là ne sont pas trop pour eux.

En tout cas, ces dispositifs-là sont à votre disposition, je vous invite vraiment à vous en emparer durant toute la période qui vient.

J’ai été beaucoup plus long, comme à chaque fois, que je ne l’avais prévu. Mais c’était, non pas me faire pardonner, mais aggraver mon cas de ne pas avoir participé à tous vos travaux.

Journée régionale sur les données probantes